Témoignages

La perte d'un proche est une expérience douloureuse et dévastatrice. C'est un moment où l'on se sent submergé par la tristesse et le chagrin. Les souvenirs et les moments partagés avec cette personne chère semblent s'estomper, laissant un vide immense dans notre cœur. Chaque jour devient un défi, car la douleur de la perte est toujours présente. On se rappelle des moments heureux et on ressent une profonde nostalgie pour ce qui aurait pu être. Le deuil est un voyage difficile et long, mais il est important de se rappeler que nous ne sommes pas seuls. Trouver du soutien auprès de notre entourage et de professionnels peut nous aider à traverser cette période sombre. Peu à peu, nous apprenons à accepter cette perte et à honorer la mémoire de notre proche, tout en continuant à vivre et à trouver la paix intérieure.

Dans cette section vous trouverez des témoignages de personne ayant perdu un proche et leurs histoires

Alain

Anne-Marie
Carine
Emmanuelle

Maryse

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Patricia

Sandra

Cela fait plus d’un an que j’ai décidé de déposer ce témoignage. Et il m’est très difficile encore aujourd’hui d’exprimer par écrit ce que j’ai ressenti pour ce deuil. D’autant plus difficile qu’il s’agit du décès de ma mère.

La morale ou la normalité, je ne sais pas, voudrait que l’on soit triste, abattu, effondré pour la mort de sa mère.
Rien de tout ca pour moi.

Cela s’est passé pendant l’été 2001, juste à mon retour de vacances. Mon frère m’a informé par téléphone : « Maman est morte »
Aucune émotion de ma part, pas de choc, pas de pleurs, pas de colères, rien du tout.

Ma sœur a prononcé un éloge funèbre à l’église ; je n’ai participé à rien, j’étais froid, distant.
J’ai suivi le cortège funéraire jusqu’au cimetière, toujours mécaniquement sans émotion.
Ma sœur a pleuré et je ne comprenais même pas sa tristesse.

Pour moi, ma mère était déjà morte quand j’avais 7 ans, lorsqu’elle avait quitté le foyer familial nous laissant seuls ma sœur, mon frère et moi.
Petit garçon de 7 ans, j’ai vécu ce départ comme un abandon et ma mère est morte ce jour la avec une grosse partie de moi.
Mon monde s’est écroulé, tout s’est refermé, j’étais trahi par ma mère.
Je n’ai plus rien ressenti à partir de ce jour la et j’ai vécu son enterrement comme si j’assistais a celui d’une étrangère.

Je comprends la raison de mon insensibilité de l’époque mais si son décès intervenait aujourd’hui, j’ai l’impression que je réagirais exactement de la même façon.
Avec le recul, ce qui me touche le plus et me rend triste, c’est de ne pas avoir été présent pour ma sœur, incapable de la soutenir et de la consoler.

Ce manque de ressenti et d’émotions lors de son décès me pose question aujourd’hui : Si demain une personne que j’aime meure, quelle va être ma réaction ?
Suis-je insensible ou cela est-il uniquement relié à mon histoire avec ma mère ou les deux ?

Alain

Les médecins lui ont donné 6 mois à vivre. Elle gérait la douleur par morphine. Même à ce stade de la maladie, elle ne voulait pas prendre de forte dose d’opium parce que ça ne se faisait pas, c’était dangereux pour la santé !

Après quelques expérimentations pénibles, elle est arrivée à doser ses prises pour avoir quelques heures de lucidité sans douleur avant de descendre dans une torpeur inconsciente, laquelle durait quelques heures avant de nouveau de refaire surface. Toute sa vie elle avait été une gourmande, et maintenant elle ne pouvait plus manger et l’odeur émanant de la cuisine la rendait encore plus malade.

Deux ans avant son décès, ma mère a été hospitalisée. Mes parents n’ont jamais parlé de la possibilité d’un cancer, ils ont seulement dit que l’opération s’était bien passé. On ne parlait pas des maladies, c’était une prise de conscience qui était esquivée. Elle a été malade, un point c’est tout.

Cependant, l’année de son décès, je savais en mon for intérieur qu’il y avait quelque chose de plus grave et qu’il s’agissait de la phase terminale.

Les parents vivent à jamais dans l’esprit de leurs enfants et là, la prise de conscience que ce n’était pas le cas, était bouleversante pour moi.
Toutefois, ma mère ne voulait pas que je la voie dans cet état et ce n’était qu’après quelques appels sanglotants de ma part qu’elle a accepté ma visite.

A cause du brouillard, le voyage par avion et en voiture a duré 16 heures. Un voyage qui normalement ne prenait que 3 heures maximum. C’était un reflet de mon état émotionnel. Un voyage interminable, fait dans un état de tristesse, d’incompréhension, de colère et de peur.
Arrivée enfin à minuit, mon père me mène de suite au téléphone. C’était mon mari qui, le jour de mon départ, avait reçu une lettre de mon père. La teneur de la lettre était ce que j’avais redouté – ma mère a un cancer. Cependant, je ne devais pas parler de cette maladie sauf si mes parents entamaient le sujet.

Le lendemain, pendant que ma mère dormait, avec des mots concis, j’ai eu droit à quelques détails. Ce qui était très important pour mes parents était qu’on leur laisse l’espoir. L’espoir fait vivre. Alors on ne parlait pas de maladie, ni de mort. Et la mort guettait toutes nos actions, toutes nos paroles.

Parler était difficile car la maladie adoptait une personnalité presque tangible qui guettait chaque mot comme un spectre. Ainsi, il n’y avait plus d’intimité ou de complicité, même rigoler sonnait comme une fausse note. Les silences inévitables étaient gênants. Je me sentais mal à l’aise avec ma mère, elle m’était inconnue. La culpabilité de ce malaise faisait que le gouffre des silences ne pouvait jamais être comblé. Pour une communication qui pouvait être la dernière, toutes choses semblaient superficielles, banales et mornes.

Les matins, je me réveillais fatiguée par l’effort de me débarrasser des tensions et de la tristesse qui me submergeait. Je voulais montrer un visage d’optimisme et d’amour. Mais j’étais hantée par les pensées de comment ma mère a passé la nuit. L’horreur de peut-être trouver qu’elle n’y était plus. C’était aussi de l’horreur de passer quelques heures avec une personne chère, où l’espace de partage, par politesse de l’invité que j’étais devenue, était hérissée de non-dits. Le temps avec elle n’était plus authentique.

Le moment de rentrer chez moi était venu. Je savais que c’était la dernière fois que j’allais voir ma mère. Le pire était que cela devait être un au-revoir comme tous les autres, insouciant et gai. Comment c’était possible ! Elle est décédée le mois même à l’hôpital.

Pour moi, ce n’était pas la fin. Le deuil me hantait avec des cauchemars, des ressentis de culpabilité parce que les derniers moments n’avaient pas été authentiques. J’avais de la colère contre elle, contre mon père et tout l’univers. Elle était jeune. J’ai perdu ma mère, les moments rigolos, la complicité … partis à jamais.

Anne-Marie

C’était il y a plus de vingt ans et pourtant j’entends encore sa voix et l’angoisse que j’avais ressentie au téléphone. Le plus dur pour moi qui suis toujours vivante, c’est peut être ces derniers instants de communication avec elle ma grand-mère adorée à qui j’aurais voulu tant dire mais dont j’ignorais qu’il s’agissait de notre dernière conversation téléphonique.

Elle avait peur et pour la première fois de sa vie elle me l’avouait, peur de la coronarographie qui l’avait fait déjà souffrir une semaine auparavant. Je m’entends encore lui répondre une banalité du style "Mais non ne t’inquiètes pas tout va bien se passer" et finir ma conversation sur les mots qui m’accompagneront aujourd’hui encore "Mamie, je t’aime".

Dans la matinée nous avons reçu le coup de fil de ma tante nous prévenant que l’état de santé de ma grand-mère s’était brutalement dégradé suite à la coronarographie qu’elle venait de passer, puis il y eut les coups de fils suivants au fil des heures, plus inquiétants encore que le premier. Les parents qui face à mon angoisse et celle de mon frère, nous ont dit qu’il ne fallait pas s’inquiéter que mamie était solide et qu’elle allait s’en sortir.

Puis vient le coup de fil de l’annonce de sa mort, mon père qui pleurait , une des rares fois où je le voyais pleurer, et ma mère effondrée. Ma première réaction en même temps que les larmes fut le refus ce n’était pas possible, pas imaginable, pas acceptable.

Puis le lendemain et les jours suivants le chagrin, la colère, colère contre les médecins, puis ensuite contre ceux qui étaient toujours vivants (mon grand-père maternel et sa compagne) et pour lesquels je n’éprouvais pas grand-chose et qui auraient dû mourir avant elle. Le « ce n’est pas juste » qui revient en leitmotiv.
Puis vient l’enterrement avec la veillée dans la maison des mes grands-parents et mon grand-père consumé de chagrin, de colère et désemparé.

Je n’ai pas vu le visage de ma grand-mère dans la mort car le cercueil est resté fermé tout le temps de la veillée et de l’enterrement. L’enterrement a eu lieu à l’église et j’entends encore mon grand-père sifflant entre ses dents pendant la cérémonie religieuse "Quelle connerie ! Quelle mascarade !". S’il avait pu étriper Dieu sur place je crois qu’il l’aurait fait.
Les dernières pelletées de terre et les roses jetées sur le cercueil et puis le retour en larmes chez mon grand-père, je n’ai plus de souvenirs des repas qui ont suivi, juste le chagrin et les larmes.

Le retour à l’école s’est fait dans le chagrin et l’irréalité, il m’a fallut du temps pour accepter sa disparition, parce que la mort se traduit par l’absence.

Mon grand-père lui ne l’a jamais accepté. Peu de temps après l’enterrement de ma grand-mère il a commencé à refuser de s’alimenter malgré les efforts de mes oncles et tante qui l’avaient pris chez eux mais cela ne lui convenait pas, et qui ensuite passaient le voir tous les jours chez lui.
Il a été hospitalisé. Pendant les vacances avec ma tante, mon frère et moi sommes allés le voir, nous l’avons trouvé nu dans sa chambre il avait en partie fait sur lui. Ma tante était tellement choquée qu’elle l’a houspillé en lui disant « Pas devant les enfants » en le couvrant d’un peignoir. Il était très amaigri.

J’avais retrouvé une boîte des petits gâteaux de ma grand-mère qu’il adorait et j’ai voulu lui en offrir pour le pousser à manger mais il m’a envoyé paître, il était furieux… Il ne voulait pas survivre à ma grand-mère et nous ne pouvions pas l’accepter. Lorsque mes parents sont venus nous rechercher chez ma tante et devant le fait que nous avions été un peu traumatisés par cette entrevue, ils ont décidé que mon père retournerait seul à l’hôpital pour lui dire au revoir.
Et c’est ce qu’il a fait en mentant à mon grand-père qui lui a demandé où nous étions ; il lui a répondu que nous étions déjà rentrés alors que nous attendions dans la voiture. Je ne crois pas qu’il l’ait cru et ne pas avoir eu l’occasion de lui dire au revoir est un grand regret pour moi. Nous sommes rentrés.

Une semaine après, dans la nuit j’ai rêve de lui et il est décédé au petit matin, moins d’un mois après ma grand-mère, lorsque son cœur a enfin lâché. La famille a décidé de l’enterrer à l’église même si lui était contre car "C’était quand même mieux qu’un enterrement civil en 5 minutes". Ensuite il y a eut le repas de deuil avec même la famille éloignée qui n’avait pas pu être prévenue à temps pour le décès de ma grand-mère.
Je me souviens des fous rires et des anecdotes échangées sur le caractère de mon grand-père et sur leur vie à tous deux. Le chagrin était là mais les souvenirs échangés ont amoindri la souffrance et m’ont beaucoup aidée à passer la phase d’acceptation.

Carine

J’ai enfilé la blouse blanche qu’une infirmière m’a tendue. Avais-je également un masque et une charlotte ? Probablement mais les souvenirs se brouillent. Me reste la sensation kinesthésique du coton sur ma peau découverte en ce jour du mois d’août. J’ai peur.

Qui vais-je trouver derrière la porte de la salle de réanimation ? Et surtout, suis-je en capacité de ne rien laisser transparaître de négatif, moi qui de surcroît, supporte mal les hôpitaux, leurs odeurs de désinfectants, leurs chambres confinées ?
Une voix en moi m’ordonne de passer outre mes états d’âme. Je suis bien portante ; il est malade. Mes petites fragilités n’ont rien à faire ici.
Je me redresse, raidis un peu mon dos. L’habit blanc m’aide, me protège, met à distance mon tourment intérieur. J’entre.
J’évite de regarder les autres malades, harnachés de tuyaux. L’infirmière me mène à mon grand-père. Un vieil homme, aux yeux mi-clos, perdu dans une chemise de nuit d’hôpital, sans dentier, m’apparaît. L’espace d’un instant, c’est un étranger et je cherche désespérément une expression familière. Faire vite, le reconnaître vite avant qu’il ne se rende compte de mon désarroi. Mais je reste là, les bras ballants, silencieuse, le temps de recouvrer mes esprits et de réapprivoiser les traits familiers. Je m’assois à ses côtés.
Je ne sais pas quoi faire, quoi dire. Il ne voit pas depuis l’accident vasculo-cérébral consécutif à l’opération cardiaque qu’il vient de subir. Il n’entend pas bien non plus depuis des années. Les mots qu’il prononce sont incompréhensibles. A-t-il perçu ma présence ?

"Parlez-lui" me dit l’infirmière, "c’est important".

Je me sens intimidée par les équipes soignantes qui vont et viennent ; j’aimerais un peu d’intimité, surtout que je ne sais pas quoi dire… Puis je me lance. Je ne me souviens plus de mes paroles, peut-être ai-je simplement dit qui j’étais, en guise de prise de contact ?
Il fallait parler, alors j’ai parlé. Sans certitude d’être entendue, comprise. Sa tête était penchée. Conséquence de l’AVC ? Parfois il la penchait un peu plus dans ma direction. Il me "répondait" dans ce qui était pour moi un charabia indescriptible. Peu m’importait, la communication était établie.
Il m’a fallu du temps ce premier jour avant de prendre sa main, d’oser le toucher. L’heure du départ est arrivée. Je l’ai embrassé, lui ai dit que je reviendrais le surlendemain.

Je suis revenue le surlendemain. Même rituel de la blouse. Je m’y raccroche. Entrée dans l’espace sacré de l’autre.
Mon grand-père est très différent de la veille, excessivement agité, nerveux. Ses gestes saccadés, ses mouvements de tête brusques trahissent sa colère. Je prends place à côté de lui, lui touche la main, lui parle. Sa volubilité ne m’est pas adressée. Ma présence semble lui être indifférente. Je ne pense pas qu’il l’ait notée d’ailleurs. Son visage est rouge d’énervement. Bien que triste de ne pouvoir communiquer avec lui, je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire intérieur : c’est bien lui, sanguin, coléreux. Il n’aime pas la deuxième équipe qui prend soin de lui, en alternance avec une autre. Je me mets moi aussi à « mal » aimer ces gens-là. Je les trouve froids, mécaniques, peu humains. Que font-ils donc pour qu’un malade, sourd, quasi-aveugle et aphasique, soit capable de distinguer ces soignants-là des autres et les détester autant ? Je dépose un baiser sur son front et promets de revenir le surlendemain.

Ce surlendemain, parée de mon costume blanc, je pénètre dans la salle de réanimation. Je croise le regard angoissé d’une patiente sous assistance respiratoire. Mon regard à moi est neutre, en tout cas je l’espère.
Mon grand-père est calme aujourd’hui. Son équipe favorite est de retour.
Je lui prends la main, me présente et parle. De détails de la vie quotidienne, des dernières bêtises du chien, de mon boulot d’été à La Poste. Il m’écoute je crois. Me répond.
Je ne comprends pas littéralement mais guette ses mimiques et devine. J’évoque les équipes soignantes, celle qu’il apprécie et « l’autre ». Il commente mes propos avec force gestes à l’appui. Son ressenti et son ressentiment sont limpides. Puis son visage se crispe, le front se plisse, ses lèvres tremblent et les larmes montent. Mon émotion monte avec ; je la ravale du mieux que je peux, lui dis que je suis là, que ma mère et ma grand-mère aussi, que la rééducation de la parole prendra le temps qu’il faudra mais que nous serons à ses côtés. Je parle au hasard, sans filet, sans savoir si mes mots sont rassurants, sans savoir si nous évoquons les mêmes sujets. En même temps, je m’en moque, ce que je dis, j’y crois dur comme fer ! Je l’embrasse et pars, avec la délicate et ambivalente prise de conscience que lui et moi sommes en lien et aussi qu’il est conscient de la gravité de son état. J’avais peut-être espéré qu’il ne prendrait pas conscience de sa dégradation physique. J’ai le cœur serré, ne sais plus si l’aveuglement et l’énergie de la colère ne le protègent pas plus que la froide lucidité de la conscience. A moins que ce ne soit moi qui ne supporte pas la souffrance et l’angoisse de celui qui m’a élevée, appris à lire, à compter, celui qui était le dieu de mes 6 ans ? Je me console en priant pour qu’il ait compris qu’on ne l’abandonnait pas.

Le lendemain, ma mère revient bouleversée de sa visite à l’hôpital. Ils ont fait un test en sa présence et ont donné à mon grand-père une feuille blanche et un stylo. Il a écrit spontanément mon nom et mon adresse, d’une écriture étonnamment régulière pour une personne quasi-aveugle. Tandis que ma grand-mère et ma mère pleurent, je sens l’espoir me gagner et y vois un signe que les fonctions cognitives sont préservées et qu’une rééducation de la parole sera possible bien que longue. J’ai 20 ans et une foi sans faille dans la vie …

Jusqu’au dimanche matin. Le téléphone sonne. Ma mère est sous la douche, ma grand-mère vaque à ses occupations. Je réponds :
- "Mme S. ?
- Non, c’est sa fille.
- Bonjour, je suis le Dr. X de l’hôpital Y.
- Pas de problème, je peux prendre le message, je suis allée voir mon grand-père régulièrement cette semaine.
- Mlle, il est décédé ce matin. Il a arraché tous ses fils et tuyaux. Nous n’avons rien pu faire. Je suis désolé …
Silence
- Merci pour votre appel … je transmettrai le message…"
J’ai pris le temps pour monter les escaliers, ai frappé, suis entrée dans la salle de bain, ai regardé ma mère, lui ai dit que l’hôpital avait appelé.
- "C’est fini ?
- Oui maman c’est fini".

Les souvenirs que je garde des jours suivants sont flous. Je me souviens être allée à l’hôpital, avoir fusillé du regard le médecin de l’équipe de garde. "Comme par hasard c’était celle qu’il n’aimait pas" me suis-je dit.
Si j’avais pu exprimer ma haine, je crois que j’aurais agressé ce médecin, là devant moi, à qui j’en voulais d’avoir laissé mon grand-père arracher ses tuyaux en salle de réanimation. Ce médecin qui passait déjà à autre chose, à d’autres personnes à soigner, sûrement plus jeunes et plus dignes d’attention. En bas, l’employé qui s’occupait des démarches administratives semblait commencer une journée comme une autre et je ne parvenais pas à accepter que ça puisse être un jour banal pour lui, je ne comprenais pas comment il pouvait sourire à un collègue, faire une plaisanterie.
A partir de là, je n’ai plus ressenti grand-chose à part le besoin de soutenir ma famille, avec mes moyens. Les autres étaient dans l’émotion ; pas moi. J’argumentais même que le décès de mon grand-père était un mal pour un bien, qu’étant donné son tempérament volcanique, il aurait mal vécu la dépendance, la longueur de la rééducation, qu’il n’aurait pas supporté de se voir diminué.
Sa mort n’avait en fait aucune réalité pour moi. Ma mère avait refusé que je l’accompagne pour reconnaître le corps. Seul le cercueil et imaginer mon grand-père enfermé dans une boîte m’a fait mal, lui qui aimait les travaux de plein air. Sans dernières volontés de sa part, nous avons fait au mieux, pensé qu’être enterré dans son pays natal, en Bretagne, où il connaissait le bruit du vent et l’odeur de la campagne, lui plairait. Je me souviens de toutes ces décisions d’ordre pratique et spirituel aussi, qui doivent être prises rapidement parfois dans l’urgence.

Longtemps je me suis interrogée : ai-je fait mon deuil ? Comment puis-je éprouver, ressentir si peu de choses à la suite du décès de quelqu’un que j’aimais ? Ai-je donc atteint un tel degré de sagesse aussi jeune pour vivre la mort de manière si "naturelle" ou ai-je juste "raté" quelque chose ?

Ce n’est que 15 ans plus tard, lors d’une cure de panchakarma, que le chagrin est remonté.

Emmanuelle

Lors du décès de R. je vivais un moment si douloureux qu’il me semblait que personne ne pouvait comprendre l’intensité de ma souffrance. Il me semblait qu’il existait un univers de différence entre ce que je ressentais et les autres, comme si je rentrais dans un gouffre profond de douleur alors que la vie à côté continuait : le soleil se levait, les oiseaux chantaient, des personnes rigolaient au même moment où pour elle tout s’était arrêté.
Dans cet état de fragilité intérieure, assaillie par les émotions, j’étais à ce moment-là plus sensible aussi aux petites attentions des personnes compatissantes. Je me souviens de ce texto qui m’avait réchauffé le cœur : «Si tu as besoin de quoi que ce soit je suis là ». Les choses les plus anodines de la vie prenaient tout leur sens. Pas besoin de long discours, une simple attention à mon égard et une proposition d’aide suffisait à me mettre du baume au cœur !

Des images de son corps inerte m’ont longtemps hantée.
Ce n’est pas la mort elle-même la plus dure mais ce qu’elle laisse de ce corps physique qui n’était plus représentatif de la personne avec qui j’avais partagé plein de choses. Ce corps sans vie faisait qu’elle n’était plus là, c’était sa dépouille mais pas elle. Alors où était parti ce qui faisait d’elle un être humain ?
Bien sûr intellectuellement je savais qu’elle avait une âme et que c’est ça qui perdurerait. Mais malgré tout l’absence physique était difficile à vivre.

Chaque fois que je passais devant sa maison aux volets fermés, je m’attendais à voir la porte s’ouvrir. Rentrer dans sa maison sans elle m’était insupportable. L’ayant mise au lit le soir et retrouvée décédée alors que je venais la lever, ce fût un choc pour moi où je pris conscience de la fragilité de la vie.

Le soir avant son décès, elle m’avait demandée de rester dormir avec elle. Elle devait savoir en son fort intérieur qu’il allait se produire quelque chose cette nuit et moi aussi d’ailleurs mais j’ai refusé car j’ai eu peur de ce basculement, peur d’affronter la mort en face. Bien sûr après j’ai regretté de ne pas l’avoir accompagnée, j’ai culpabilisé tout en me disant que c’était aussi comme ça, que je n’avais pas pu à ce moment faire face à la mort car je n’étais pas prête. En même temps j’avais eu l’intuition mais en même temps une partie de moi refusait et voulait croire en la permanence de la vie.

Les matins suivants sont décès je réalisais que moi aussi j’étais mortelle et que chaque matin où je me réveillais j’avais en quelque sorte gagné un jour de plus. Puis avec le temps, la souffrance s’allège et les souvenirs reviennent. Même si la personne n’est plus là matériellement, on se rend compte qu’elle continue de vivre en nous au travers des souvenirs, il reste une trace invisible, un lien immatériel, le même que quand on pense à quelqu’un qui se trouve à des milliers de kilomètres de soi. La personne aimée en quelque sorte ne meurt jamais.

Deux ans plus tard je fus confrontée de près physiquement et psychiquement à la mort d’un de mes chats préférés.
C’était la première fois, tout comme pour R. que je touchais de près la mort. Je décidais d’accompagner mon gentil minou jusqu’à son dernier souffle et là pareillement, le plus dur à vivre et qui me fais encore souffrir à l’heure où j’écris est le souvenir du moment où la vie a quitté son corps à travers une dernière tension de tout son corps et un râle.
Je ne pense pas qu’il ait souffert mais pour moi cette étape reste encore douloureuse. Son corps est rapidement devenu tout froid et tout dur et là encore ce constat de la vie qui se retire et disparait en laissant un vide qui au début n’est que pleurs, tristesse puis petit à petit ce vide rempli de dégoût pour ce corps inerte se transforme au fil du temps en remémoration de souvenirs agréables.

Maryse

J’ai commencé à te dire au-revoir lorsque j'ai pu te dire je t'aime. Pendant toutes ces années où tu m’as aidé à grandir, la pudeur nous interdisait de nous dire je t’aime.


Mon deuil de toi a commencé avant ta mort, lorsque j’ai appris que tu avais le cancer, peut-être même, avant, quand je t’ai vu malade, toi qui ne l’étais jamais. J’ai senti quelque chose de lourd de pesant qui venait habiter mon ventre c’était un an avant que tu ne meures.
Mon deuil de toi a été comme un long voyage, ponctué de dénivelés, d'à-pics le tout enveloppé d'un voile de souffrances. Un voyage où la destination reste inconnue et que l'on est obligé d'effectuer, là le choix n'est pas possible.
Avril 2005
Coup de téléphone : « On a emmené Tonton aux urgences! » Et là coup de tonnerre, tout s’effondre ça se précise, et puis tu en ressors, il faut surveiller. A partir de ce moment je n’ai plus été tranquille, je savais, je me préparais. Oh ! pas tous les jours, certains jours, je faisais semblant d’oublier, enfin un petit moment de paix. Cette petit voix qui dit «C'est irréversible, il n'y a plus rien à faire» même si on surveille, mais là, un petit, un infime espoir que ça pourrait aller mieux.

Mars 2006
On a surveillé !!!! Et puis cette déchirure, le bruit d'une lettre qui se déchire, je n’avais pas osé l'ouvrir, ce n’était pas la peine, je savais et je ne voulais pas. Ou tout simplement, je voulais rester dans l'ignorance, dans l'illusion que peut-être je me trompais !
- "Tu as lu la lettre?"
- "NON..."
- "Tonton a un cancer à l'estomac..."
Je la sens cette déchirure, quelque chose se déchire, c'est violent, je ne veux pas que ce soit ça ! Plus aucun doute, c'est écrit là. J'essaie de faire bonne figure, rester digne, que l'autre ne perde pas confiance, ne s'écroule pas.
- "Alors que dit le docteur dans la lettre ?"
- "… "
Mensonges, mensonges pour préserver l'autre que l'on sent si fragile, ne lui en dire qu'une partie, une petite partie. Je ne suis pas fière, ces mensonges pèsent, surtout face au regard inquisiteur de mon oncle qui sait au fond de lui. J'en aurai la confirmation après sa mort en discutant avec sa meilleure amie. Oui, nous savons tous les deux que la partie est jouée, mais les autres autour, tous les autres, qui espèrent minimisent, bon ils ne peuvent pas accepter que ce soit fini.
- "C'est toi qui m'amènes à l'hôpital ?" - "... Bien sûr" Quel long trajet, 45 minutes de silences meublés par quelques paroles rassurantes, se rassurer tous les deux !
Tenir, tenir le coup pour cet homme, LUI qui a accepté de m'élever, il n'est pas que mon oncle, il est mon père de coeur.
- "Tu t'es occupée des papiers pour le terrain? Tu es allée chez le notaire ???"
- "On verra ça plus tard..."

ET VOILA IL SAIT, BIEN SUR QU'IL SAIT! IL NE PEUT PAS ME LE DIRE, trop violent pour lui, pour moi.
C’est peut-être lui qui me protège une dernière fois ! Nous allons jouer un jeu, je sais que tu sais que je sais, bon alors on sait tous les deux ! Et on va jouer à "Je ne sais pas ou plutôt je fais semblant de ne pas savoir !".
Quelle souffrance à l'intérieur, ce poids de ne pas pouvoir dire, peur de le faire mourir plus vite, qu'il se laisse aller, qu'il ne veuille plus se battre, mais se battre pourquoi ?
JE CROIS que la vérité c'est que... c'est moi qui ai envie de le garder plus longtemps près de moi. Avec toute la «grandeur» de ses 69 ans, quelle fragilité émane de cet homme quand nous arrivons à l'hôpital, un petit garçon apeuré, triste, il avait l'air tellement perdu, bon alors rassurer, rassurer...
Je ne vais pas y arriver, comment gérer tout cela, j'ai peur, peur de ne pas y arriver, de ne pas savoir faire ce qu'il faudrait faire, de louper des étapes importantes, enfin je ne sais pas moi, c'est la première fois !!! S'occuper de tout et avec humour !
Et toutes ces formalités "Là il faut descendre, là c'est au premier.....faire la queue !" etc.
Là dans cet hôpital, c'est une autre étape que je franchissais dans le deuil de toi. Là, quand je t'ai installé dans cette chambre blanche, toi l'homme de la campagne, habitué aux espaces un peu plus grands, plus verdoyants et surtout un peu plus vivants ! C'est là que j'ai commencé à te dire au revoir vraiment, c'est passé de l'intellect au physique, là c'était concret, lourd, très lourd ! J'étais mal dans moi, tout se déchirait, quelque chose qui se finit et je ne sais pas réellement ce vers quoi je vais...
Bien sur le chirurgien disait "Il faut attendre d'opérer pour voir ce qu'il en est !". Il y croit ou il essaie d'atténuer le choc ! Une semaine d'attente, j'essaie d'aller te voir tous les jours, il te tarde l'opération.

Je te fais les ongles, je te masse les mains, tu aimes ça, on regarde Paris/ Roubaix, tu aimes le cyclisme, on plaisante, en partant je te prends dans mes bras, je te dis «Je t'aime» tout doucement pour ne pas que les autres entendent, et je vais te le dire tous les jours. Tous les soirs je t'appelle, et je ne raccroche pas sans avoir dit « Je t'aime». C'est la première fois, et c'est facile, naturel, évident. Quel soulagement de pouvoir te dire simplement "je t'aime", cela m'aide à trouver une certaine paix, être plus en paix avec moi-même. QUE TU NE PARTES PAS SANS QUE J’AIE PU TE LE DIRE.
Ton opération est programmée pour le lendemain. Tout se passera bien... Autour de moi tout le monde pensait qu'après l'opération tu aurais un peu de chimio, que ton estomac se reformerait et que tout redeviendrait comme avant...
Je n'osais pas leur dire "Je pense que c'est fini, c'est une histoire de semaines ou de jours".
Le soir de ton opération, j'avais rendez-vous avec le chirurgien, j'avais demandé à Sophie une cousine de m'accompagner, je savais que le choc serait rude même si je savais. Se le voir confirmer, était une autre marche dans la souffrance et le deuil de toi.
- "S’il arrive seul, c'est bon signe, s'il arrive avec une infirmière, là ce n'est pas bon du tout…".
- "Pourquoi ?"
J'essayais de préparer ma cousine qui pensait que d'ici 4 à 6 mois tu serais guéri ! que j'étais trop pessimiste !
Dans cette chambre, le vide, le froid, ta chambre d'hôpital vide, il était là hier dans le lit, il n'y a plus personne ! C'est glacial ! Ils arrivent... Mine de circonstance...
- "C'est trop tard, le cancer s'est généralisé, il y en a partout, on n'a rien pu faire, on a ouvert et on a refermé, il en a pour 2 ou 3 mois, mais il faudra faire de la chimio…"
De la chimio, mais pourquoi faire? Passer 2 ou 3 mois à endurer les souffrances d'une chimio ! Pourquoi ? Le laisser tranquille serait mieux.
Le diagnostic a été comme une délivrance, au fond de moi cette in-certitude me rongeait, m'habitait, pas une minute où je n'y ai pensé, pas une seconde je me suis dit le contraire.
Et maintenant cette vérité il faut LA dire aux autres, les proches de la famille, attendre le moment qui presse, qui presse tout mon ventre, tout mon coeur, qui me vide. Il faut que je parle à une tierce personne, quelqu'un qui ne sera pas dans l'affectif avec moi.
- "Docteur.... je peux passer ce soir, j'ai besoin de vous parler? » Il a du sentir à ma voix, à ce je ne sais quoi, que j'avais besoin d'aide."
- "Je finis mes consultations à...., passe après, on aura le temps de discuter ». Une autre angoisse avait surgit, je ne comprenais pas d'où me venait cette force, je sentais effectivement une force en moi à partir du moment ou la réalité a été posée, je voulais savoir si j'avais besoin de remontants efficaces et rapides car je n'avais ni le droit ni la possibilité de m'effondrer, il fallait maintenant tenir pour soutenir les autres..."
- "Je ne te donne rien, si tu as besoin, tu m'appelles tout de suite et on avise, tu es costaud."
- "Bien sûr !!!!"
Etre fort ! Etre fort pour les autres qui s'effondrent, pleurent, crient, me posent des questions !!!!! Moi AUSSI j'ai mal mais personne ne le verra, je pleure mais pas devant les autres.
Et puis à partir du moment où tu es rentré à l'hôpital, j'entreprends de refaire ta chambre. Je lessive les murs, je repeins, une cloison est montée, l'électricité refaite, literie changée pour que tu reviennes dans un endroit douillet, propre, accueillant. Cela m'occupe ! La chambre sera prête la veille de ton retour.
C'est une façon de m'occuper de toi, je souhaite que tu partes le mieux possible, dans les meilleures conditions.

A l'hôpital 24 heures après l'opération
Tu es de retour dans ta chambre avec la morphine, ton visage respire la souffrance, tu fais signe que tu as mal, très mal, ton corps a diminué, il est tout recroquevillé, ton regard interrogateur, tellement interrogateur s'accroche au mien. Et cette question sourde que tu cries en silence, je l'entends : "Ils ont pu faire quelque chose ? Je souffre tellement, alors, que ce ne soit pas pour rien !"
Huit jours après l'opération, je te ramène chez toi, dans la voiture nous parlons de tout et de rien, heureusement qu'ils existent ces "tout et rien !"
- "Pourquoi mon frère... que je n'ai pas vu depuis plusieurs années est venu me voir ?"
Tu veux aller faire un tour à pied, alors nous allons marcher tous les deux, quel bonheur de voir le tien, tu es fragile mais ça va s'améliorer, tu te sens mieux ! Tu manges, je te fais manger ces espèces de bouillies hyper vitaminées onctueuses et tu vomis, tu n'arrives pas à garder la nourriture. Tu me regardes sans comprendre,"puisqu'ils m'ont opéré pourquoi je vomis ?"
- "C'est normal, tu viens d'être opéré, il faut du temps pour que l'estomac se refasse".
Je te nettoie, je nettoie ta bouche et l'intérieur qui est remplie de pustules blanchâtres qu'il faut badigeonner avec un produit, je m'accroche, je dois m'accrocher pour ne pas montrer ma répugnance.
- "J'ai froid aux pieds, aux jambes...."
Je te masse, je passe beaucoup de temps à te masser, c'est nouveau pour toi d'être caressé, tu apprécies... Tu n'arrives presque plus à marcher, tu te lèves juste pour faire tes besoins, et encore il faut t'aider à t'installer sur le sceau hygiénique, toi l'homme fort et pudique.
Cette pudeur déshabillée me fait terriblement souffrir, je sens la honte de montrer, de te monter.... il faut t'essuyer, tu n'as plus assez d'équilibre et de force pour t'essuyer les fesses.

Ce matin, nous sommes tous les deux, j'ai apporté de la musique douce, ton visage se détend, tu me fais signe que cela te fait du bien, je remets le CD, tu es tranquille, pas besoin de parler, on est là tous les deux, on partage ce moment de façon intense en le savourant, on sait que la fin est très proche ! Tu économises tes forces, même tes mots, tu n'as plus la force de parler. Tu n'acceptes de manger qu'avec moi ou ma cousine, avec douceur doucement, à ton rythme, d'accord tu n'as plus faim, on arrête, peut-être un peu plus tout à l'heure.
T'entourer de douceur, je te masse les pieds, les jambes ? « J'ai mal aux jambes».
Je n'ai jamais su si c'était vrai ou si c'était seulement un prétexte pour que je m'occupe de toi ! Les deux sans doute ?
- "Alors c'est fini ?"
Nous sommes deux dans la chambre quand tu me poses cette question car tu me regardes intensément, quels efforts as-tu fait toi qui n'arrives plus à parler ! Ton frère est persuadé que tu parles de la chambre... L'as tu seulement vu que ta chambre avait été refaite ? Tu m'as regardé et j'ai été lâche et je me sentais honteuse, je n'y arrive pas, je ne peux pas, je ne sais que te mentir.... Les mots qui sortent sont vraiment dérisoires et je fais semblant de croire que c'est de ta chambre dont tu parles.
- "Non, tu vois, il reste quelques bricoles à faire, et.... mais c'est pratiquement fini...."
Ton regard plein d'une terrible tristesse se détourne, mais avant tu me fixes quelques secondes, tes yeux sont mouillés et c'est toi qui me dis ne t'inquiète pas, j'ai compris, et je te pardonne.
Tu n'as plus jamais posé cette question. Je te déçois, je suis la seule à pouvoir te dire la vérité, car c'est à moi que tu demandes et… impossible ; les mots restent bloqués ! J'ai honte de ne pas pouvoir affronter le fait de te dire la vérité, je n'en peux plus, il y a aussi les autres avec leurs angoisses.

Vendredi 2 avril 2006
Ce matin, soit 6 jours après ta sortie, tu es complètement anémié, tu n'as plus de force.
Comme tu ne peux plus te lever et marcher, ma tante et ma cousine insistent pour que tu marches car de rester au lit, tu vas de plus en plus perdre de forces, ce n'est pas bon de rester allongé, elles se fâchent. Ma tante qui n'a pas compris te menace de te faire repartir à l'hôpital ! Quand je l'apprends, j'ai mal pour toi, elles m'expliquent que tu as fait le tour de la table... comme tu as dû souffrir pour réaliser cet exploit ! Mais vous n'avez donc pas compris, c'est fini, il ne peut plus, il ne pourra jamais plus.
Ta respiration a changé aujourd'hui. Quand j'arrive dans l'après-midi, le docteur sort de ta chambre, il désire me parler, "Voilà maintenant c'est la fin, un à deux jours maximum..." Le lendemain à la même heure, je me penchais sur ton visage pour écouter....

Samedi 3 avril après-midi
- "Maman viens, je crois que Tonton est mort, je ne l'entends plus respirer !!!"
Et voilà, la chose la plus terrible arrive ! Celle d'être là quand quelqu'un de proche meurt, je ne peux pas, je ne veux pas.
J'ai TERRIBLEMENT peur, me pencher, REGARDER LA MORT ! La sentir là tout près ! Bon je n'ai pas le choix, il faut... JE ME PENCHE un léger souffle sur ma joue, c'était le dernier, cette ultime caresse, ton dernier soupir, voilà c'est simple, tout simple, c'est fini.
- "Oui, c'est fini, Tonton est mort"
Je me suis sentie profondément triste et profondément soulagée, libérée car les souffrances étaient finies maintenant, ma peur, mes peurs aussi ! Cet après-midi là j'étais sereine devant la multitude de choses à faire et de gens à gérer. M'occuper de toi, t'habiller, je ne voulais pas que des personnes étrangères s'occupent de toi, j'avais besoin de faire tout cela avec beaucoup d'amour, des étrangers même avec la meilleure volonté et le plus grand respect, n'auraient pas mis autant d'amour! Ça c'est sûr !
Quand la personne des pompes funèbres est venue, j'ai voulu faire les derniers soins avec elle, l'étonnement se lisait sur son visage ! Je voulais être sûre que l'on ne te ferait pas mal et que ces derniers soins se feraient avec délicatesse. J'ai tellement pleuré pendant ces trois semaines, j'ai encore tellement pleuré, mais ce n'était plus les mêmes larmes, elles étaient remplies de vide, des vides que tu laisses. L'annonce dans le journal, les gens à prévenir, le curé ok le rendez-vous est pris...
Je choisis les musiques pour ta cérémonie, pour l'entrée, le recueillement, celles que tu aimais écouter avec moi, celles qui te plaisaient le plus, ta chanson préférée et pour sortir sur le Caruso. Pendant les trois jours où tu es resté allongé là dans ton beau costume des dimanches, les musiques ne t'ont jamais quitté, j'avais l'impression que cela te faisait du bien. Enfin j'aimais le croire ! Pendant trois jours…
- "Pourquoi tu veux attendre trois jours ?"
- "C'est important, mais je ne savais pas pourquoi, mais je savais que c'était important."
Pendant ces trois jours donc, je viens te voir dans ta chambre, je te parle, on se retrouve tous les deux et j'évoque tous les bons moments passés avec toi, j'aime ces moments seule à seul avec toi, j'ai l'impression que tu es là et que ça te fait du bien. Pendant ces trois jours, une partie de la famille était là et il fallait prévoir à manger pour 15 au moins, tous les jours, heureusement tout le monde participait, il régnait une tranquillité, on a beaucoup ri en se remémorant les moments passés.

Mardi 6 avril après-midi
Ca y est, c'est le jour de ton enterrement.
-" Les personnes qui souhaitent faire un dernier hommage peuvent entrer, après on ferme le cercueil..."
Je rentre à la fin avec ma tante qui ressemble à une petite fille qui n'a rien pu gérer et qui s'est laissé porter, elle est petite !! Elle s'assoit sur mes genoux, nous lui parlons une dernière fois, nous pleurons, ces larmes vident notre souffrance. C'est l'heure !
- "Je souhaite fermer le cercueil ?" Silence…!
- "Je peux ?"
- "Bien sur …"
A vrai dire je n'en menais pas large, je ne savais pas si j'allais y arriver mais je savais tout au fond que c'était nécessaire pour pouvoir te dire adieu et faire mon deuil. Quand j'ai posé le couvercle, là, là ce sont des moments vrais, on le sent jusque dans ses tripes partout. Ne plus jamais te voir, t'entendre, maintenant il faut fermer, sur cette tranche de vie ! Maintenant il faut visser, d'accord je le fais. Etrange ce mélange de lourdeur, de simplicité, de peur, de libération… Cet acte comme tous les autres m'ont profondément aidé à te dire adieu.
La souffrance qui a suivi a été très différente, je pensais beaucoup à toi, à ce que nous avions fait ensemble, tous ces moments partagés, alors mes yeux se remplissaient et débordaient, une vraie crue ! Mon deuil de toi a été cet accompagnement à la mort où tous les jours je pouvais te dire je t'aime sans savoir si le lendemain je pourrai encore te le dire. Le poids que je sentais dans mon ventre depuis un an m'a quitté quand j'ai refermé ton cercueil. La tristesse me remplit maintenant, celle de ne plus te voir, t'entendre rire, parler, tout cela me manque, et je vis dans le souvenir de toi. Tous les jours, ces vides se remplissent et tout doucement, j'ai pu parler de toi sans qu'une vague de chagrin me submerge.
Mon seul regret est de ne pas t'avoir remercié pour tout ce que tu m'as apporté, les valeurs que tu m'as inculquées, te dire merci, simplement merci et te dire "Tu peux partir tranquille en paix" ! Cela j'en ai souffert, j'en ai eu honte, j'avais envie et je n'y arrivais pas... "Toi qui te crois forte, regarde !" Quelle leçon !
J'ai pu en parler à Nicolas, mon fils, qui avait passé une heure le samedi matin à discuter avec toi et il t'a rappelé tout ce que vous aviez fait ensemble, tout ce que tu lui avais apporté, toutes ces belles choses que tu as faites dans ta vie et que tu pouvais partir tranquille, trois heures après, tu mourrais. J'ai été apaisée que quelqu'un ait pu te parler ainsi, que ce soit ton petit fils de cœur, c'était encore plus beau.
- "Il allait mourir, c'était le moment, c'était important pour qu'il parte en paix et moi c'était ma façon de lui dire au revoir"
Mon fils me donne une belle leçon ! La violence de la douleur d'avant sa mort s'est transformée en tristesse, chagrin, douleurs mais douleurs plus douces ! Ces moments où on se rappelle, ces moments qui font revivre l'autre, puis je ne sais pas, je ne sais pas comment mais cette douleur s'effrite, s'efface et j'en viens à culpabiliser de ne plus la sentir. Le voyage est terminé et je te remercie pour cette aventure, riche de prises de conscience pas toujours faciles à accepter et à dépasser.

Faire son deuil, dire à l'autre je t'aime et le laisser partir.

Patricia

Il y a beaucoup d’expressions françaises qui prennent sens lorsque l’on vit un deuil, une douleur vive, un choc émotionnel. Lorsqu’Ina est née et décédée au moment de l’accouchement, j’ai crié si fort comme si je souhaitais stopper toute sensation. J’ai crié longtemps comme un râle, comme pour exorciser la douleur.

Plus tard, lors de la mise en bière, je ne sentais plus mes jambes, elles étaient en coton, je ne touchais plus le sol, j’avais la sensation de flotter. En tout cas mes jambes ne me soutenaient plus, je suis tombée à genoux devant le cercueil (comme dans les films).
Plus tard, seule dans la chambre de la maternité, je regardais par la fenêtre, aussi bizarre que cela puisse paraître, j’avais envie de « vie », un oiseau s’est posé sur le balcon, je l’ai trouvé magnifique, je me souviens de ce moment parce qu’à cet instant j’ai pu mesurer mon instinct de survie. Bien sûr, par la suite, le manque se fait sentir et la douleur émotionnelle change, c’est en fin de journée que la douleur devient plus vive, les angoisses et la tristesse nous submergent.
Dans le couple, chacun plonge et l’autre console et rassure, et vice et versa, jusqu’à ce que la douleur s’éloigne. Beaucoup de gens s’apitoient autour de nous et finalement il est facile de répondre « Ca va, c’est la vie ». J’ai beaucoup dit cette phrase, presque mécaniquement, durant trois mois… j’étais juste en survie.
Et puis, il y a les phrases, les condoléances, les recommandations, les mêmes histoires, que l’on ne veut plus entendre. «On sait, on sait» ; non personne ne sait, chacun y va de son exemple, de son vécu mais personne ne peut réellement comprendre. Je suis convaincue que dans chaque cas de deuil, pour chaque personne, la douleur est différente et la façon de le gérer aussi.
Mon obsession était de ne pas tomber dans la dépression, cette résistance n’a pas permis au processus de deuil de se dérouler normalement. Les deux dernières dates anniversaires d’Ina ont été pour mon mari et moi plutôt éprouvantes, la tristesse et la colère se manifestaient durant toute la semaine sans que nous arrivions à en parler.
Finalement, aujourd’hui, ce qui me surprend le plus c’est que cette colère est toujours là, la douleur s’est estompée, l’absence ne pèse plus, les sentiments sont plus raisonnés, mais la colère s’est intériorisée, la peur de revivre une même souffrance, la peur de perdre quelqu’un de proche créent des angoisses profondes. Ma foi (mon foie, ma bile, ma rate) souffre beaucoup de cet état.
Pourtant ce deuil nous a reconstruit, mon mari et moi, nous a fait recontacté notre instinct de survie et le meilleur de nous (le soi), nos capacités d’amour, notre personnalité. « La vie ne vaut rien mais rien ne vaut la vie »…
Aujourd’hui, même si je suis toujours dans un processus de deuil, ce que je veux c’est Vivre.

Sandra